Belo Monte :
pétition du Cacique Raoni

Revue de presse

15/05/2010 - LeMatin.ch - Raoni : le dernier voyage du dernier grand chef

Pour empêcher la construction d'un barrage sur son territoire, le guide des Indiens d'Amazonie effectue son dernier périple.

Ivan Radja - le 15 mai 2010, 20h07
Le Matin Dimanche

Ils sont 4000 guerriers qui fourbissent leurs armes, arcs, massues, lances, au coeur de l'Amazonie, dans la réserve du Rio Xingu, menacée par le projet de construction du gigantesque barrage de Belo Monte.
A leur tête, le dernier grand chef indien vivant, Raoni, charismatique, symbolique, obstiné, irréductible. «Je suis le seul à pouvoir les contenir. Si je disparais, ce sera la guerre», affirme-t-il, dans un savant dosage de menace réelle et de bluff diplomatique. Il le sait, un affrontement avec les équipes de construction, bulldozers contre flèches, provoquerait l'intervention de la police et de l'armée brésiliennes. Et des médias, surtout des médias.

En quarante ans de combats pour la démarcation de son territoire - 200 000 km² entre les Etats brésiliens du Para et du Mato Grosso - le vieux cacique (chef) de la tribu des Kayapos a appris la puissance des mots et des images. Il y a trois jours, quittant Monaco où il s'est entretenu avec le Prince Albert II, il passe par Cannes et se paie le luxe de monter les marches, profitant des murailles de photographes qui mitraillent à tout va. Opération tapis rouge réussie! «J'ai été très content de voir l'endroit où mon film a été montré pour la première fois». En effet, «Raoni», documentaire de son ami le cinéaste et journaliste Jean-Pierre Dutilleux, projeté en 1977, fut à l'origine de sa notoriété.

De l'âge de la pierre à l'ère spatiale

En ce vendredi pluvieux, toujours flanqué de Jean-Pierre Dutilleux, alias Kritako (l'homme aunez en lame de couteau), qui a recueilli et rédigé ses mémoires, nous le rencontrons à la librairie Payot de Fribourg, à l'occasion d'une séance de signatures. Il l'a dit à ses guerriers: «Laissez-moi discuter avec les Kuben (Blancs), récolter de l'argent pour la création de notre Institut, n'entrez pas en guerre. Il faut être pacifique.»

Coiffé de sa parure de plumes d'ara (jaunies grâce à des décoctions de grenouille), perles blanches aux oreilles, il parle le peu de portugais qu'il a consenti à apprendre. D'abord attirés par les mouvements du labret, ce plateau labial qui signifie que celui qui le porte est prêt à mourir pour sa terre, les yeux très vite restent fixés sur le regard, volontaire et malicieux.

Il y a quelque chose d'irréel à le voir apposer son paraphe sur la page de garde du livre en guise de dédicace. Son signe, pour être exact, un «R» entouré de deux cercles, le seul qu'il ait jamais appris à tracer, lui qui ne sait ni lire, ni écrire, ni compter. Un léger vertige vous saisit face à cet homme qui, pour défendre «la forêt, l'avenir des Indiens et de tous les Blancs», a franchi bien plus que 9000 km.

En une vie, Raoni a traversé 5000 ans d'histoire, de l'âge de pierre à l'ère spatiale. Lorsqu'il est encore enfant (il est né vers 1930), sa tribu ne maîtrise pas encore le feu. « Nous ramassions les braises laissées par la foudre», raconte-t-il. «Un jour, un couple a réussi à créer le feu avec du bois et de l'étoupe.» Les Blancs n'existent pas encore. Seuls les récits transmis de générations en générations évoquent l'arrivée des «bateaux poussés par de grands tissus, avec des canons», l'arrivée des conquistadores devant lesquels ses ancêtres reculeront à l'intérieur des terres, abandonnant les rivages de la «grande lagune salée ».

Il rit soudain:  «Le premier Blanc que j'ai vu était à cheval, j'ai cru qu'il avait deux têtes et quatre pattes ! ». Le premier «oiseau de fer», le premier fusil, les premières maladies aussi, et son étonnement le jour où Jean-Pierre Dutilleux lui explique que la Terre est ronde, et indique sur un planisphère l'emplacement de son territoire.

Sauvegarder une culture

Les chocs culturels sont immenses, mais il encaisse, assimile, digère, et en tire un principe qui
devient la colonne vertébrale de son action: «Il est inutile de combattre les Blancs, mieux vaut les connaître puisqu'on ne peut pas les chasser, mais sans vivre comme eux. Sinon, nous perdrons notre culture, nous passerons pour des idiots et nous ne serons plus respectés.» Toujours en quête d'un successeur, il envisage d'aller prospecter les quelques tribus encore coupées du monde, afin de trouver et former «un Indien pur, et pas un jeune déjà contaminé par les Blancs. »

Il se rend à Brasilia, souvent. Et gagne, souvent. Décret après décret, il obtient en 1993 la démarcation du territoire Xingu. Des bornes sont plantées, des postes de guets dispersés par la Funai, la Fondation nationale de l'Indien. Mais la continuité est mise à mal par le tournus des responsables, qui ne font pas tous preuve de la même sensibilité à la cause indienne. En premier lieu, l'actuel président Lula da Silva: « Cet homme ne s'intéresse pas au problème de l'Amazonie, il n'y a jamais eu autant de déforestation que depuis qu'il est là. C'est aussi lui qui permet le projet de barrage qui inonderait une grande partie de la réserve Xingu, les arbres, les plantes, les animaux, et nous. »

Chirac fidèle, Sarkozy inconstant

Des chefs Blancs, il en a rencontré beaucoup. Certains fidèles, comme Jacques Chirac, soutien indéfectible depuis vingt ans. «Il va appeler Lula, et grâce à son immense carnet d'adresses, contacter de grands industriels pour les associer à la défense de la forêt amazonienne, explique Jean-Pierre Dutilleux. Déjà des partenariats sont conclus avec Renault, Accor et Aviva, qui vont soutenir le projet d'Institut Raoni.» D'autres brillent par leur inconstance, comme Nicolas Sarkozy, qui l'avait invité devant les caméras lors d'un voyage officiel à Brasilia en septembre dernier. Mais depuis l'arrivée de Raoni le 3 mai, le président français, soucieux d'assurer la vente de vingt Rafales au Brésil, botte en touche, organisant à la sauvette une brève rencontre avec François Fillon demain matin.
Ou Sting, dont il a été sans nouvelles durant vingt ans, avant que le chanteur, prié de s'expliquer sur la gestion de certains fonds, ne le fasse revenir sur scène à São Paulo l'an passé, l'appelant « mon père »... et lui délivrant un « petit chèque ».
Prononcez son nom et aussitôt le labret se lève en signe de fermeture et d'hostilité.
Il ne faut pas jouer avec lui. Le cacique sait aussi rappeler qu'il peut être un redoutable chef de guerre. Contre les incessantes incursions illégales des garimpeiros (chercheurs d'or), des pêcheurs, des éleveurs, des planteurs de soja, des seringueros (récolteurs de latex), coups de massue et coups de fusils ont été fréquents. Des campements rasés, des colons massacrés. Il y a dix ans, Jean-Pierre Dutilleux se souvient avoir empêché in extremis la mise à mort de pêcheurs. Les menaces contre le barrage ne sont pas à prendre à la légère.

J'aurais détesté être ...

« Une personne qui dit du mal des autres, cherche la dispute, provoque les problèmes. Je n'aurais vraiment pas voulu être quelqu'un qui déclenche les guerres plutôt que de discuter. Avant de mourir, mon père m'avait dit que pour être un grand guerrier, tu dois toujours te contrôler pour ainsi mieux contrôler les autres.
C'est comme cela que tu deviens un grand chef. Tu ne peux pas devenir un guerrier qui se bat pour n'importe quoi et qui crée des confusions, non! »

J'aurais rêvé d'être ...

« Un jaguar, le plus beau et le plus puissant animal de la forêt. Pour avoir sa force et son invincibilité. »

Date de l'article : 22/06/2010

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